RABELAIS
A
MONTPELLIER
LE l'KOF. V. BROl’SSONÎSKT.
Montpellier»
Chez J. Martel aine, imprimeur de la Faculté do Médecine
rue de la Préfecture, 40.
1840.
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MONTPELLIER.
La notice que notre érudit bibliothécaire le docteur
KiiH.Niioi.T7. a donnée sur Ribelais, rendrait superflu ce que
nous pourrions dire de cet homme célèbre, si , en parlant
de lui , nous n'avions trouvé l'occasion de raconter la
longue série d’actes qui , chez nous , menaient autrefois
au doctorat. Ce document historique, en montrant l’Ecole
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de Montpellier semblable à une famille dont les membres ,
constamment rapprochés les uns des autres , travaillaient
en commun, explique comment a dû naître et se propager
une doctrine médicale que l’on cherche vainement ailleurs.
Ce mode d’examen et d’épreuves subsista à peu près le
même , jusqu’à ce que la Convention nationale détruisit à
la fois les universités , les collèges et tous les établisse¬
ments d’instruction publique. Cette table rase devait sup¬
porter un nouvel édifice , dont la construction fut confiée
aux législatures suivantes ; Napoléon l’ordonna.
François Rabelais naquit, vers la fin du xve siècle, à
Chinon en Tourraine. Son père , cabaretier à l’enseigne
de la Lamproie , le fit d’abord élever à l’abbaye de Sévillé ,
d’où il passa au couvent de la Bamette à Angers ; enfin ,
il termina son éducation à Fontenai-le-Comte , chez les
Cordeliers , dans l’ordre desquels il entra. Indépendamment
des maîtres qu’il eut dans ces différentes écoles, il en
rencontra un bien supérieur à tous les autres ; ce fut lui-
même. Dans peu d’années, il apprit avec celui-là tout ce
qu’il était possible de savoir: théologie, philosophie, lé¬
gislation , histoire , médecine , géographie , stratégie , lan¬
gues anciennes et modernes ; sa mémoire dévora tout.
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Parlant et écrivant sur chacune de ces sciences avec la
même aisance , il déploya un luxe d'expressions que lui
seul a possédé.
11 était difficile à Rabelais de mettre de l’ordre dans cet
amas inouï de connaissances; il lui aurait fallu pour cela
le calme de l’esprit et la sagesse du jugement, qualités
dont la vertu seule est la source.
Le dérèglement du prêtre et l’effronterie avec laquelle
il l'étalait au grand jour, le firent enfermer dans la prison
conventuelle. Le crédit de Tir aqueau , lieutenant-général du
bailliage de Fontenai, l'en lit sortir, et son ancien condis¬
ciple Jean du Bellay lui obtint de Clément Vil la permission
de passer de l’ordre de saint François dans celui de saint
Benoit, à Maillezais. Mais Rabelais , incapable de s’accom¬
moder de la vie du cloître, déserta son nouveau couvent
et erra pendant plusieurs années , livré û ses goûts et ïi
ses passions.
En 1V28, il révèle son existence, à Lyon, par la publi¬
cation du commencement de son fameux roman , que l'on
ne connut bientôt que sous le nom du Livre. S'il est vrai
que l’homme se peint dans scs écrits, nous pouvons juger
Rabelais par les siens, d’autant mieux qu’il les composait
rapidement , sans préparation , ne prenant pas même la
peine de les corriger. Chacun des acteurs, dans cette œuvre
monstrueuse , expose le savoir prodigieux de l’auteur ;
q y -f ' ' _ _ -
Panurge est l’expression de ses mœurs.
Parmi les sujets nombreux qu’harcelle la satire railleuse
du moine , paraissent souvent la religion et la philosophie ,
dont les réformateurs eux-mêmes ne sont pas épargnés.
Calvin et Ramus se plaignirent avec amertume ; le pape
fut tolérant jusqu’à l’indulgence. ,
C’est avec toutes ses richesses scientifiques , et précédé
par sa réputation littéraire , que Rabelais arriva à Mont¬
pellier en 1850.
Les Ecoles étaient alors fréquentées par une foule d’in^
dividus qui n’attachaient aucun prix au titre d’écolier,
puisque , sans l’avoir, ils pouvaient pratiquer la médecine
quand bon leur semblerait. D’autres , et c’était le plus petit
nombre, prétendant à la dignité de maître, s’inscrivaient
sur le registre des étudiants , après avoir été examinés ,
par un des procurateurs de l’université , sur la dialectique
et sur la physique médicale; dès-lors ils se choisissaient
un patron parmi les docteurs régents. Rabelais , âgé
7 —
d’environ 40 ans, s'immatricula le 46 septembre 4530,
prit ScHYiuioH pour son parrain, et devint le condisciple
de IIoxdellrt , quoique celui-ci fût beaucoup plus jeune.
Ceux qui aspiraient à l'honneur d’enseigner un jour,
s’engageaient dans la carrière pénible des examens qui
conduisaient aux grades: le premier était le baccalauréat.
Pour l’obtenir, le candidat, déjà inscrit sur le livre des
ccoliers, se présentait à son gré, et soutenait, pendant
quatre heures, des thèses qu’argumentaient les docteurs
et les licenciés. Si les juges étaient satisfaits , on faisait
jurer au récipiendaire que , fils légitime de pareuts chré¬
tiens, il n'avait jamais exercé un art mécanique, et qu’il
n’enseignerait la médecine et ne la pratiquerait à Mont¬
pellier et dans les faubourgs qu’après avoir reçu la licence.
Le président lui accordait une des baies du laurier réservé
pour la couronne du docteur, le revêtait de la robe des
bacheliers et l’invitait à monter en chaire (indue pur pur amt
ascende cathedram). Rabelais reçut ce grade , le 1er no¬
vembre 1530, des mains de Schyrrox,
La teneur de ce serment, qui nous parait à présent au
moins bizarre , s’explique naturellement en se reportant
au temps où on le composa.
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Tout individu pouvait , en arrivant à Montpellier , en¬
seigner et pratiquer la médecine. Cette liberté illimitée
causa des désordres , en tête desquels on comptait les rixes
sanglantes qu’occasionnaient, parmi les écoliers, les riva¬
lités des maîtres. Quelques-uns juifs, mahométans ou
bâtards , se trouvaient par là étrangers et souvent hostiles
à la cité. De sages réglements amenèrent la tranquillité ;
ils furent imprudemment révoqués, en 1180, par Guil¬
laume , fils de Mathilde , et le mal , qui n’avait été que
comprimé, reparut avec plus de force. C’est alors que,
pour l’arrêter et prévenir son retour, le magistrat demanda
des garanties aux maîtres et les prépara à l’égard des
élèves. Ce furent : le serment , la tonsure cléricale , le
patronage d’un répondant , la robe rouge que les écoliers
ne pouvaient jamais quitter; on toléra l’élection du roi ou
de Y abbé; on permit celle des conseillers.
Le bachelier avait le droit d’enseigner et de pratiquer ;
mais , afin de ne pas encombrer la ville de médecins , on
conserva le monopole aux licenciés et aux docteurs ; ceux
qui ne l’étaient pas encore, allaient étudier ailleurs la
clinique.
La robe scolastique était de drap rouge ; son capuchon
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arrondi et de la même étoffe s’attachait à un collet ra¬
battu sur les épaules. Les bacheliers, et probablement les
étudiants, la portaient constamment, comme on le voit
encore dans les universités de Cambridge et d Oxford. Peu
à peu ce réglement tomba en désuétude, et le bachelier
posait la robe après sa réception. Rabelais fit peut-être
semblant de croire qu’on lui faisait cadeau de celle qu’on
lui prêtait , et il l’emporta en plaisantant. Il se pourrait
aussi qu’il s’en revêtit pour jouer le rôle du médecin dans
la morale comedie de reliai qui aroit espousè une femme
touffe (4). Quoi qu’il en soit, on lui donna son nom, mal¬
gré qu’elle changeât tous les jours de maitre. Elle était
d’ailleurs si mal soignée , qu’il fallait fréquemment en
renouveler les lambeaux. La dernière, qui était réduite au
quart en 1787, fut remplacée par une autre qui existe (2).
Le bachelier qui désirait obtenir de nouveaux grades
demandait au doyen des régents un sujet de leçons. On
(t) A la rentrée des écoles et dans le carnaval , maîtres et dis¬
ciples assistaient tous à un repas commun. Après le festin venaient
des discours en latin , et le tout se terminait par une comédie que
jouaient les bacheliers et les écoliers en présence de cet auditoire
si grave et si gai.
(2) I.e naturaliste Anselme Dortiies endossa le premier la nou¬
velle robe.
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lui indiquait ordinairement un des livres de Galien et des
aphorismes d’HippocRATE. Le cours durait trois mois; des
lettres signées par des docteurs, des licenciés, des bache¬
liers et des étudiants l’attestaient. Falcon assigna à Rabe¬
lais YArs medicinalis de Galien.
Le cours terminé , on se préparait pour les quatre exa¬
mens appelés per intentionem (1) . Chacun d’eux était fait
devant un professeur différent , durait une heure , et le
sujet n’était donné que la veille,
Après une semaine de repos , on répondait au point
rigoureux (punctum rigorosum). A midi, le chancelier
faisait piquer avec une épingle dans un livre de nosologie ,
et le doyen dans celui des aphorismes d’HippocRATE. Le
lendemain , à la même heure , le candidat répondait à
toutes les questions que faisaient naître les sujets ainsi
tirés au sort. Cet examen , qui durait quatre heures ,
s’exécutait solennellement dans la chapelle Saint -Michel
de l’église de Notre-Dame-des-Tables. Rabelais y parut,
puisqu’elle ne fut démolie, pour la première fois, qu’en
1360 (2).
(1) Ces examens étaient subis par ceux qui avaient V intention de
parvenir à la licence.
(2) Les désordres excités par des candidats qui redoutaient un
Le nouveau bachelier demeura i\ Montpellier toute
l’année 1531 ; mais il ne donna plus de leçons publiques
après celles auxquelles on l’avait obligé.
bu 1332, nous le trouvons à Lyon, où, pour fournir à
scs besoins, il enseignait et pratiquait en \ille et dans
les hôpitaux, il imprimait son cours sur Galien et Hipppo-
cratf , et éditait divers traités. Tout cela ne lui suflisait
pas; la nécessité l’obligea de s’engager en qualité de mé¬
decin dans la maison de l’évéque de Paris , Jean du Bellay ,
ambassadeur de François Ier auprès du pape (1333).
Absent depuis cinq ans de Montpellier, Rabelais y re¬
vint pour acquérir la licence et le doctorat. Le premier
de ces grades était donné par l’évéque délégué du pape,
fondateur de l'université de médecine; mais le prélat ne
pouvait l’accorder que sur la demande des docteurs ré¬
gents, qui eux-mêmes ne la formaient qu’après avoir sou¬
mis le candidat à une dernière épreuve.
renvoi , forcèrent à procéder à l’examen en particulier et à huis
clos. Par les mêmes motifs, et pour redoubler de précautions, les
Montpelliérois le subissaient au milieu de la nuit. Quand, dans
la suite , on n’eut plus rien à craindre de ces derniers, afin do
rappeler cet ancien usage, un flambeau brûlait à leur côté, quoi¬
qu'on les examinât en plein jour.
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Le futur licencié dressait une liste de douze maladies ,
sur laquelle le chancelier et le doyen en choisissaient trois
chacun. Pendant trois jours de suite, une heure le matin
et autant dans l’après-midi , le candidat était argumenté
sur ces six sujets ; le premier et le second jour, par les
docteurs seulement. Les licenciés, les bacheliers, les éco¬
liers , même les étrangers à l’Ecole , avaient le droit de
disputer le troisième jour. Ces actes, que l’on nommait
triduanes (1) , conduisaient directement au doctorat.
On procédait à la réception du docteur avec le plus
grand apparat ; aussi nommait-on cette cérémonie actus
triumphalis. Dès la veille ,1a grosse cloche de Saint-Firmin
annonçait l’ovation; le lendemain, le corps universitaire,
précédé de la musique , se rendait à cette même église ,
seule paroisse de la ville. Là , le président adressait un
discours au récipiendaire , lui plaçait sur la tête un bonnet
de drap noir terminé par une houppe de soie cramoisie ,
l’entourait d’une ceinture en or (2) et lui mettait au doigt
(1) Nous possédons imprimées les triduanes que soutint Lazare
Rivière le 9 , 10 et 11 du mois de mai 1611.
(2) La ceinture en or était une marque de distinction pour le
corps des nobles dont les docteurs faisaient partie. Malgré les
lois qui prohibaient cet ornement à tous autres , peut-être à cause
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un anneau (t). Ensuite, il lui offrait les œuvres d'Htppo-
crvte, comme sujet constant de lecture et de méditation,
le faisait asseoir à son côté , et le bénissait en lui recom¬
mandant de remercier Dieu, la Vierge et ses maîtres; le
reste se passait en compliments. Pour embellir la fête et
lui donner une teinte de galanterie méridionale, la mu¬
sique jouait dans les intermèdes (2), et les dames, qu’on
ne manquait jamais d’inviter, recevaient des dragées, des
confitures et des gants, que leur offraient les paranymphes
du docteur.
Rabelais fut couronné par Giupiiy, le 22 mai 1537 (3),
et essa\ a de suite de renseignement public. Il donna cette
même année un cours sur les pronostics d'Hippocrate, et
de cette défense, les daines s’emparèrent de la ceinture dorce; et
l’on ne put arrêter cet abus qu’en obligeant les filles publiques à
la porter constamment ('vaut mieux bonne renommée que ceinture
doréej.
(I) Ce noble, qui souvent ne savait ni lire ni écrire, se servait,
pour signer, du sceau qu’il portait à sa bague ; le clerc en cache¬
tait ses écrits. C’est ainsi que le docteur avait un double droit à
l'anneau de chevalier.
(5) Molière fréquentait Montpellier , lorsque son emploi de
directeur des comédiens du prince de CottTi le fixait à Pézenas.
F.f c’est ici que ce grand philosophe prit l’idée de la réception si
spirituelle du Malade imaginaire.
(?»,' Yoy. le I'ac simile de sa réception de docteur placé à la fin.
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re cours fut fait en langue grecque ! Singulier éloge du
professeur et de ses auditeurs.
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Ces leçons étaient volontaires, quoique publiques; aussi
n’étaient-elles pas payées. L’année suivante , Rabelais fut
plus heureux. Depuis 15^0 , l’Ecole avait senti la nécessité
d’un enseignement régulier de l’anatomie , et pour l’as¬
surer, elle désignait chaque année un docteur qui, moyen¬
nant salaire , donnait un cours sur cette partie essentielle
de la médecine. Rabelais en fut chargé et reçut un écu
d’or pour sa peine, en 1558 (1).
' Rabelais demeura à peu près ces trois années à Mont¬
pellier (1557, 1558 et 1559). On le voit cependant à Lyon
donnant un cours d’anatomie ; à Rome , servant d’obser¬
vateur à l’ambassade française ; à Paris, où il faisait im¬
primer la suite de son roman: sans doute il revenait sou¬
vent à l’université.
Les jugements si opposés que l’on a portés sur son livre
sont une nouvelle preuve que l’affinité du monde physique
régit aussi celui des esprits, où cependant ses lois subis¬
sent des modifications à l’infini. Tels goûtent et compren-
(I) Pierre Riciier de Iîelleval fut institué par Henri IV pour
enseigner l’anatomie ainsi que la botanique.
nent spontanément un ouvrage, vis-à-vis duquel d’autres
demeurent froids et insensibles. Bacon ne reconnaît pas,
dans des pages profondément pensées et écrites avec une
facilité admirable , cette philosophie ardue pour l’acquisi¬
tion de laquelle il avait cru nécessaire d’inventer un nouvel
instrument, et il nevoitqu’tm grand paillasse dans Rabe¬
lais. Voltaire , saisissant bien mieux la partie facétieuse
que le reste de Pantagruel, appelle écrivain de la canaille
celui qui faisait les délices de La Fontaine et de Molière.
Au bout d'une carrière agitée et pleine d’aventures,
Rabelais, dans sa vieillesse, trouva le repos à Paris, grâce
à la famille du Bellay. lTn canonicat à la collégiale de
Saint-Maur, la cure de Meudon et 50 livres tournois de
pension durent fournir à ses besoins , meme aux restes de
ses fantaisies. On dit , et nous aimons à le croire avec le
père NicéRON , qu’il finit par mériter l’estime des admira¬
teurs de son génie, et que, sentant approcher le moment
de rendre compte des trésors que le père de famille lui
avait confiés, il changea de conduite et mourut comme il
aurait dû vivre (1).
(I) On ne connaît pas bien le lieu ni l’année où Rabelais est
mort. (iii-l\vri> prétend que ce fut en 1553, à l’aris, dans la rue
des Jardins, paroisse Saint-Paul.
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